Joseph Monier : Biographie
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Né le 8 novembre 1823
Décédé le 12 mars 1906
Jardinier et inventeur
Inventeur du béton armé
Les vertes années de Joseph Monier (1823-1842)
Joseph Monier est né à Saint-Quentin-la-Poterie dans une famille de jardiniers.
Marie-François-Emmanuel de Crussol, Géraud de Crussol d'Uzès et le château du duché d'Uzès.
Le père de Joseph Monier est au service de Marie-François-Emmanuel de Crussol, duc d'Uzès, puis brièvement de son héritier, Géraud de Crussol d'Uzès.
Le duché d'Uzès est l'un des plus anciens duchés de France, ce qui valait au duc d'Uzès d'être l'un des 12 « pairs de France ». Datant du Moyen-Âge, ce titre héréditaire était en grande partie honorifique mais accompagné d'une relative immunité et du prestige d'être proche du roi, dont certains pairs avaient l'oreille, leur conférant une influence non négligeable. Après Marie-François-Emmanuel de Crussol, ce titre évoluera au fur et à mesure des changements de régime et disparaîtra à la fin du XIXe siècle.
Joseph Monier passe sa jeunesse au côté de son père à apprendre son futur métier, le jardinage. À l'image de son coreligionnaire et contemporain le jardinier Henri Golletais, son instruction est uniquement pratique, il n'est pas scolarisé et n'apprend donc pas à lire. Comme il est très improbable qu'un employeur aussi prestigieux que le duc d'Uzès n'ait pas des jardins à la hauteur de son prestige, le père de Joseph Monier est certainement un grand jardinier auprès duquel l'apprentissage est de premier ordre.
Durant l'adolescence, Joseph Monier développe une passion pour les attraits de la gente féminine. Grand séducteur dans l'âme, il peut se vanter d'avoir un honorable tableau de chasse avant même d'être adulte. Il sera finalement obligé de se marier très tôt afin de préserver l'honneur d'une conquête enceinte, sans que l'année exacte soit connue. Il aura ensuite plusieurs enfants avec sa femme mais survivra à chacun d'eux.
Les grands débuts dans le jardinage (1842-1849)
Alors que Joseph Monier travaille comme jardinier avec son père, Géraud de Crussol d'Uzès est séduit par ses parterres de fleurs et lui offre le poste de premier jardinier de son hôtel parisien (situé dans l'actuelle rue d'Uzès mais démoli en 1870). Celui-ci accepte l'offre et quitte ainsi son père à 19 ans pour aller vivre à Paris.
Comme en témoigne la promotion précoce de Joseph Monier, Géraud de Crussol d'Uzès éprouve une certaine sympathie pour lui, encourageant à sa manière des ambitions déjà bien affirmées. Le duc ne s'oppose pas lorsque Monier demande un peu de temps libre pour apprendre à lire et à écrire, pas plus lorsque ensuite il en demande de temps à autres pour travailler à son compte, le duc fera même sa promotion auprès de ses invités. C'est ainsi alphabète et solidement expérimenté que Monier conclura cette expérience quelques années plus tard.
Alors âgé de 23 ans et désormais un jardinier aguerri, Joseph Monier apprend par un ami que le jardin du Louvre recrute. Désireux de vivre de nouvelles expériences, il se présente et obtient un poste de jardinier sans difficulté. Le jardin du Louvre est moins rémunérateur que le duc d'Uzès mais permet d'avoir beaucoup de temps libre, bien plus qu'auparavant.
André Thoin et le Jardin des plantes, lieu des cours.
Ce temps, Monier va d'abord le consacrer aux cours de l'école de botanique créée par André Thouin. Durant 3 ans, parfaisant ses connaissances en botanique avec les 4500 plantes et arbustes présentés durant les cours, il devient un fin botaniste.
Travaux Haussmanniens et les débuts du jardinier inventeur (1849-1867)
Joseph Monier arrête les cours de botanique en 1849 pour reprendre un atelier, dans un premier temps en conservant son poste de jardinier au sein du jardin du Louvre.
Le démarrage honorable de ses affaires va rapidement prendre des proportions d'essor, Joseph Monier s'étant lancé à la veille de deux décennies qui vont s'avérer mirifiques pour les entreprises comme la sienne: les Travaux Haussmaniens (1852-1870).
À cette époque, la démographie parisienne croît et les quartiers du centre se densifient dangereusement. À l'exception de l'ouest où sont réfugiés les notables pour échapper à la délinquance, la surpopulation et l'insalubrité du centre, après des siècles de mixité sociale, Paris est essentiellement populaire. Napoléon III, craintif face à cette situation explosive, entreprend alors de ramener de la mixité sociale à Paris et de lui redonner son éclat d'antan à coups de grands boulevards, d'avenues vertes et de parcs publics. Le baron Georges Eugène Haussmann sera son maître d'oeuvre, appuyé par un trio de choc.
Extrait de la biographie du jardinier paysagiste Édouard André qui a lui aussi participé aux Travaux Haussmaniens.
L'entreprise de Joseph Monier bénéficie de ces travaux dès leur commencement en 1852, la ville de Paris fera par exemple appel à ses services pour le bois de Boulogne.
En parallèle, la révolution industrielle est en marche. Même si la France n'est pas à ce moment le pays qui en bénéficie le plus, son économie croît malgré tout et on assiste à l'émergence d'une bourgeoisie qui entend bien afficher sa réussite. Au XIXe siècle, le jardin est l'un des premiers signes extérieurs de richesse.
La combinaison des Travaux Haussmanniens et de cette nouvelle bourgeoisie offre un véritable boulevard à Joseph Monier, Paris a toujours besoin de sous-traitants pour exécuter divers travaux de jardinage et toute proportion gardée, il devient l'Édouard André que la bourgeoisie peut s'offrir, passant de seulement lui-même à 18 employés.
Exemple de jardin de rocaille.
Le jardin de rocaille est alors très en vogue auprès de cette nouvelle clientèle. Du plus bel effet sans être toutefois excessivement coûteux à ériger, ce jardin a l'avantage de se faire avec des plantes vivaces faciles d'entretien et qui conservent leurs formes naturelles, en opposition au jardin à la française cher à André Le Nôtre. Avoir un jardinier à son service n'est ainsi pas indispensable par la suite, ce qui ravit un public désireux d'exposer une réussite qui ne va souvent pas jusque là.
Joseph Monier apprend donc à travailler le ciment, car afin d'obtenir la « rocaille », la méthode la plus courante consiste à projeter du ciment sur un grillage de fer. Il doit également s'adapter à des demandes qui vont au-delà du métier de jardinier, par exemple la fabrication de bacs personnalisés et sur-mesures. Encore une fois, constatant la vitesse à laquelle se dégradent le bois ou la taule et les limites de la maçonnerie (du XIXe), le ciment s'avère être à ses yeux le matériau idéal.
Au fil des ans, Joseph Monier améliore son ciment, rendant les parois fibreuses grâce à l'incorporation d'un treillis métallique. Réalisant peu à peu le potentiel de son invention, il se lance dans des constructions de plus en plus ambitieuses, les terrasses, réservoirs, bassins et autres abreuvoirs deviennent son lot quotidien. Monier a désormais un pied dans le jardinage et un pied dans le bâtiment.
Il ne le réalise pas immédiatement, mais ce qu'il vient d'inventer est une petite révolution, elle portera bientôt le nom de « ciment armé » ou « béton armé ».
Au-delà du jardinage, l'essor de l'inventeur du béton armé (1867-1888)
Le 16 juillet 1867, Joseph Monier dépose un premier brevet de système de caisses-bassins mobiles en fer et ciment applicables à l'horticulture.
Pont réalisé pour le château Chazelet et le château Chazelet au début du XXe siècle.
En 1875, l'architecte Alfred Dauvergne demande à Joseph Monier de réaliser un pont pour le château de M. Taupinart de Tilière, le château Chazelet. C'est le premier pont en ciment armé de l'histoire et près d'un siècle et demi plus tard, ce pont existe toujours.
Les années passent, Joseph Monier poursuit les innovations et multiplie les brevets.
3 novembre 1877: système de traverses et supports en ciment et fer applicable aux voies, chemins ferrés et non ferrés (certificats d'addition en date des 27 juin 1878, 14 août 1878, 30 janvier 1880 et 2 mai 1881).
15 mars 1880: système de cuves-récipients en ciment et fer, applicables à tous les genres d'industries (certificat d'addition en date du 3 août 1880).
24 août 1885: système de tuyaux-conduits en ciment et fer, applicables à tous genres d'industries pour la conduite et la canalisation avec ou sans pression d'eau, de gaz, et tous autres éléments et liquides de diverses natures (certificat d'addition en date du 24 décembre 1885).
15 avril 1886: système de construction de maisons fixes ou portatives, hygiéniques et économiques en ciment et fer.
Le béton armé commence à faire parler de lui au-delà de la France. Voyant là un gros potentiel de développement, à partir de 1879 Joseph Monier dépose ses brevets dans de nombreux pays, notamment en Autriche, en Angleterre, en Allemagne, en Belgique ou encore en Espagne.
Le ciment armé fait fureur, particulièrement en Autriche et en Allemagne où ce sont 300 ponts qui sont construits ; mais pas seulement, partout en Europe, on voit apparaître des constructions en béton armé. Un tel succès pour l'invention de Joseph Monier est exceptionnel.
Le déclin (1888-1902)
Hélas, ce succès à l'étranger du béton armé ne rapporte pas véritablement d'argent à son inventeur. Partout en Europe on utilise le béton armé mais sans verser ses droits à Joseph Monier. En Allemagne, un dénommé Gustav-Adolf Wayss a même été jusqu'à spolier Monier de ses droits.
Si l'invention fait la fortune de nombreuses entreprises européennes, elle fait la ruine de son inventeur. Joseph Monier se lance dans des poursuites judiciaires internationales extrêmement coûteuses et se heurte à des décisions judiciaires politiques. Les tribunaux allemands refusent catégoriquement, même en dépit du droit, de donner raison à Monier. Il en sera de même dans les autres pays où l'affaire est traitée avec dédain, sauf en Angleterre où il obtiendra finalement justice, mais il ne touchera qu'une infime partie des sommes qui lui étaient dues et dont il avait urgemment besoin.
Le 27 juin 1888, alors que Joseph Monier est ruiné et pourchassé par le fisc, son entreprise est déclarée en faillite. Il poursuit ses activités jusqu'au 13 avril 1889, oscillant toujours entre jardinage et bâtiment, date où son entreprise est finalement placée en liquidation judiciaire.
Combatif, Joseph Monier livre bataille et tente de refaire surface, il déposera même un nouveau brevet le 24 avril 1891: système de construction en ciment et fer, à simple et double ligature, des caniveaux pour fils téléphoniques et électriques en général. Il tente également de faire effacer sa dette fiscale, adressant des suppliques en haut lieu dans lesquelles il énumère les faits dont il est la victime et les frais engagés en vain pour obtenir justice, sans succès.
Les dernières années de Joseph Monier (1902-1906)
En 1902, après des années de combat en vain, désormais âgé de 79 ans et en mauvaise santé, Joseph Monier abandonne. Il se résigne à vivre aux dépens de son beau-fils (s'étant remarié à une veuve déjà mère de famille), dessinateur industriel et unique ressource de la famille, faute d'avoir la force de travailler à nouveau dans le jardinage ou ailleurs.
Émile Loubet (1838-1929), Président de la République Française (IIIe République).
Mais l'affaire ne s'arrête pas là. C'est alors toute une corporation qui se mobilise, une souscription est organisée et un courrier cosigné par diverses entreprises est envoyé au Président de la République, Émile Loubet. De nombreux donateurs envoient également des lettres prenant publiquement fait et cause pour Monier.
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C'est en regrettant bien vivement de ne pouvoir faire plus, que je vous adresse ma modeste souscription pour M. Monier, le véritable précurseur du ciment armé.
Je ne suis pas élève de M. Monier, mais j'ai eu l'honneur il y a 15 ans de lui faire exécuter quelques menus travaux, et j'ai pu apprécier l'homme, l'étendue de sa valeur professionnelle, et hélas aussi l'amertume des déboires qui l'ont accablé.
Veuillez, Messieurs, agréer et tous mes voeux pour votre belle initiative et l'expression de ma considération bien distinguée.
Léon BENOUVILLE
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Joseph Monier répond à ses soutiens par une lettre publique dans laquelle il se déclare « profondément touché » de ne pas avoir été oublié et conclut en se disant malgré tout « trop heureux d'avoir pu réaliser une invention profitable à tous les peuples civilisés ».
Emile Combes (1835-1921), Président du Conseil (Premier Ministre sous la IIIe République) et Maurice Rouvier (1842-1911), Ministre des Finances.
En 1903, l'affaire continue, une pétition de 70 ingénieurs, industriels et entrepreneurs est envoyée au Ministre des Finances du gouvernement d'Émile Combes, Maurice Rouvier.
Hélas, aucune initiative n'aboutira.
Trois ans plus tard, en 1906, Joseph Monier décède à 82 ans dans la pauvreté ; mais avec la satisfaction, contrairement à ceux qui l'ont volé, d'être entré dans l'histoire avec une invention profitable à tous les peuples civilisés.
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Publié par Jean-Charles Pouzet sur Jardin Secrets le 26-07-2014